Mon enfant a un ami imaginaire : c’est grave docteur ?

Depuis quelque temps, Ninon, 4 ans, parle beaucoup avec Bernardo. Il l’accompagne dans son bain, à table… Elle entretient de grandes discussions avec lui. Ses parents jouent le jeu, lui attachent sa ceinture dans la voiture, lui mettent son assiette à table, mais finissent par le trouver parfois un peu trop envahissant. D’autant que Bernardo est invisible et qu’il n’existe que dans la tête de leur petite fille.

L’imagination des enfants est fertile, et leur rapport avec la réalité est parfois déroutant. Quand le doudou est considéré par les psychologues comme un objet transitionnel qui rattache l’enfant à sa mère, l’ami imaginaire, lui, représente un phénomène un peu plus complexe qui peut prendre différentes formes. Il peut même en exister plusieurs, qui ont chacun leur propre personnalité. On a remarqué, notamment, que les compagnons fictifs apparaissaient souvent dans des périodes d’instabilité, affective ou matérielle, à l’occasion d’un déménagement, d’une séparation, par exemple, voire à l’arrivée d’un autre enfant au sein de la famille.

Un ami imaginaire qui réconforte…

C’est un phénomène relativement courant et, de l’avis des psychologues, les parents n’ont généralement pas de raison de s’inquiéter. Anne Vachez-Gatecel, psychologue clinicienne et auteur de l’ouvrage L’enfant et l’imaginaire, explique que l’ami imaginaire est une sorte de relais au doudou, un moyen de se rassurer. « Tous les enfants n’en ont pas besoin. En tout cas, c’est quelque chose qui les aide à passer des moments de solitude. Cet ami imaginaire, c’est aussi une création qui traduit cette capacité qu’a l’enfant de trouver par lui-même une solution à la difficulté qui se présente à lui. »

… et qui aide à grandir

Il lui permet en outre de mieux accepter le fait de grandir et qu’il doit renoncer à certaines choses. Vers l’âge de 3 ans, le petit doit en effet quitter la position de toute puissance dans laquelle il a imaginé pouvoir rester toute sa vie. L’entrée à l’école, aussi, peut être un moment délicat à passer, et l’ami imaginaire peut lui faciliter ce passage. Il l’aide à aller vers le monde, à se séparer de sa mère. Il sert également à incarner les peurs que peut avoir l’enfant. En racontant, par exemple, que les parents de Bernardo l’enferment dans un placard lorsqu’il fait des bêtises, Ninon fait passer un message à ses parents. Elle les teste pour voir s’ils approuvent ou non ces punitions.

Jouer le jeu, mais pas trop !

Il est parfois difficile pour les adultes de savoir quelle est la bonne attitude à adopter. Emmanuelle Rigon, psychologue clinicienne et auteur du livre Les enfants hypersensibles, recommande de « ne pas casser la construction imaginaire de l’enfant, mais de ne pas non plus faire de la surenchère. Il est important que l’enfant comprenne que vous savez qu’il sait que ce n’est pas une vraie personne.»

Une opinion partagée par Anne Vachez-Gatecel qui précise : « Ce n’est pas à l’adulte d’anticiper. On rentre dans le jeu parce que c’est l’enfant qui l’amène et qui en a besoin. » 

Il n’y a donc pas de raison de s’inquiéter, même quand cet ami fictif prend beaucoup de place. En revanche, on peut en parler à son pédiatre « lorsque l’on sent que l’enfant s’enferme dans cette histoire et qu’il n’a plus de relations avec les autres. Sinon, c’est une richesse pour l’enfant de créer quelque chose et de trouver une solution pour être moins seul. »

_D’après Catherine Chausseray